Tribune : J’ai observé le FN au Parlement européen pendant 5 ans. On ne doit pas les laisser revenir.

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Souvenez-vous, c’était il y a cinq ans. Marine Le Pen, la présidente du Rassemblement National (RN), expliquait dans une interview au magazine américain Times sa méthode pour « démanteler l’Europe » de l’intérieur. Depuis, plus d’un tiers de ses anciens soutiens ont abandonné le groupe politique qu’elle constitua une fois élue et l’Europe est toujours là.

 

Sur les 24 députés élus aux élections européennes de 2014, six représentants ont quitté le groupe pour rejoindre les europhobes pro-Brexit de Nigel Farage et trois siègent chez les non-inscrits, faisant perdre à Marine Le Pen son statut de premier parti de France au Parlement européen à mi-mandat. Quel bilan !

 

Des élus qui ont brassé de l’air et ça coûte !

 

Bien qu’il reste un des partis d’extrême droite les plus populaires en Europe, au moins dans les sondages, le RN ne brille pas par sa présence dans les commissions de travail, ni par le professionnalisme de ses représentants. Au Parlement européen, le nombre de députés ne fait pas tout. Encore faut-il s’investir et travailler dans les commissions (par exemple l’agriculture ou la recherche).

 

Les élus frontistes ont suivi la politique du chiffre. Des centaines de résolutions, de questions écrites et de déclarations écrites sans aucune portée juridique ont été déposées, parfois hors compétence de l’Union, tel que sur le voile islamique. Cela ne sert objectivement à rien et coûte au contribuable français en frais administratifs et de traduction. Les députés du RN ont également déposé des amendements, généralement treize à la douzaine, sans jamais venir les défendre en réunion de travail. Changer les choses ne les intéresse pas.

 

En quatre ans de mandature européenne, la députée Marine Le Pen n’a écrit aucun rapport parlementaire et a déserté les commissions parlementaires comme près de la moitié des séances plénières. Ces dernières ont pourtant lieu en France, à Strasbourg. Ses colistiers, dont Bruno Gollnisch qui est mis en examen pour détournement de fonds dans l’affaire des assistants parlementaires, n’ont pas mieux fait : moins de 10 rapports en 5 ans pour l’ensemble de la délégation. C’est très, très peu.

 

Compromis avec le pire des extrêmes, le RN vote contre tout, jusqu’à l’absurde

 

En s’alliant au parti néo-fasciste italien de la Ligue et au parti du KNP polonais fondé par Janusz Korwin-Mikke (qui déclara dans l’hémicycle que les femmes sont « stupides » et devraient se voir privées du droit de vote), le RN participe, en pleine régression morale, à diffuser des idées patriarcales et identitaires, avec n’importe quel parti en accord avec sa stratégie de dislocation de l’Union.

 

Dans leur haine du multilatéralisme et de toute coopération au sein du Parlement, les membres du parti europhobe ont été à l’encontre des intérêts de leur propre pays. Les représentants de l’extrême-droite française ont par exemple voté contre toutes les règlementations en faveur de la lutte contre le changement climatique, et deux tiers des députés RN se sont abstenus sur la réforme de la directive sur les travailleurs détachés et 11 étaient carrément absents.

 

Même quand il s’agit d’adopter des textes pour renforcer les contrôles aux frontières, par exemple à travers le Passenger Name Record qui renforce l’identification des personnes fichées lors du contrôle au frontière, les députés européens RN ont rejeté le texte… pour ceux qui ont daigné voter.

 

Ils ont échoué, je ne me résous pas à les voir revenir.

 

En France, le RN se fait plus visible, comme l’ont montré les débats sur la sortie de l’euro. Pourtant, les citoyens français n’adhèrent pas au projet d’Europe des Nations que prône Marine Le Pen. Au contraire, selon un récent sondage d’Ipsos-Sopra Steria pour Le Monde, 70 % des français sont attachés à l’euro car ils savent que quitter la monnaie unique entrainerait une dégradation de leur situation financière.

 

Le maintien dans l’Union européenne reçoit un soutien important même dans les pays ayant le plus souffert de l’austérité après la crise de 2008 (comme en Grèce ou en Espagne). L’union monétaire fait la force de notre projet européen.

 

Pourtant, le Rassemblement National s’entête. Ce que Marine Le Pen appelle « renégociation des traités », est en réalité un refus d’appliquer les règles européennes, ce qui acterait de facto la sortie de la France du projet monétaire commun, donc la fin de la solidarité entre les États membres de l’Union.

 

Pris dans ses contradictions, le Rassemblement National a donné depuis quatre ans une piètre image de la France au Parlement européen. La destruction de l’Europe, le refus du compromis et les alliances de circonstances ne constituent pas un projet politique. Contrairement à ce qu’annonçait Marine Le Pen au Times, les europhobes n’ont aucune méthode si ce n’est de pousser les citoyens dans le vide. Le Brexit, l’a montré, le rejet ne fait pas un projet.

 

 

Thierry Masson